Qui êtes-vous Käthe Kollwitz ?

Mis en avant

Käthe Schmidt est née le 8 juillet 1867, à Königsberg, l’ancienne capitale de la Prusse orientale (aujourd’hui Kaliningrad en Russie).

Elle naît quelques jours après la proclamation de la Confédération de l’Allemagne du Nord le 1er juillet 1867 sous la direction de la Prusse. Il faudra attendre 4 ans pour qu’en 1871 l’unification de l’Allemagne soit accomplie par la Prusse sur les décombres du Second Empire français.

Très tôt, son père remarque son talent et l’encourage à devenir peintre. Il lui permettra de se former auprès d’artistes reconnus, d’abord à Königsberg puis à Berlin et à Munich.

En 1891, elle épouse Karl Kollwitz, un ami d’enfance de son frère, Konrad Schmidt, avec lequel il partage les mêmes idées politiques socialistes. Il vient de terminer ses études de médecine, il est membre, comme Konrad, du parti social-démocrate et vient d’accepter un poste à Berlin comme médecin de la Caisse des Tailleurs, créée dans le cadre des nouvelles lois sociales.

Karl et Käthe Kollwitz s’installeront dans le quartier ouvrier de Prenzlauer Berg où ils vivront et travailleront pendant plus de 50 ans et où naîtront leurs deux fils, Hans en 1892 et Peter en 1896.

Nous reviendrons ici sur sa vie et son œuvre plus en détail, bien sûr, mais vous pouvez déjà consulter les sites des Musées Käthe Kollwitz de Berlin et de Cologne qui proposent une vision biographique d’ensemble en français. (Voir nos sites « amis »).

Et maintenant, traversons ensemble 80 ans d’histoire allemande avec la grande artiste et la Grande Dame Käthe Kollwitz.

Texte de présentation : Maryse Magnier

Reproduction autorisée uniquement avec mention de la

source  : http://www.kaethekollwitz.org

APPEL URGENT ! – DRINGENDER APPELL!

Käthe et Karl et 15 autres signataires dont Heinrich Mann avaient appeler à l’union des partis de gauche contre Hitler aux élections de 1933……

Käthe Kollwitz Museum Köln

Janvier 1933 Début du Troisième Reich.

[Juillet 1933] Hitler est devenu chancelier du Reich le 30 janvier 1933. Puis tout s’est enchaîné.

Le 15 février, Heinrich Mann et moi avons été contraints de démissionner de l’Académie. Vagues d’arrestations et de perquisitions.

C’est la dictature la plus totale.
1er avril, boycott antisémite.
Licenciements. Pour l’instant, Hans garde son poste.
10 mai, autodafé.
Le 21 mai, on apprend la mort de Clara Zetkin.
Samedi 1er juillet, les caisses sont retirées à tous les médecins qui adhéraient à l’Union social-démocrate des médecins. Karl en fait partie.

Maintenant, en juillet, Il n’y a plus ni parti communiste, ni parti social-démocrate, ni parti national du peuple allemand, ni parti populaire bavarois, ni le parti du centre. Il n’y a plus, dans toute l’Allemagne, que le NSDAP.

Fin mars, nous sommes partis deux semaines à Marienbad chez les Wertheimer. Nous sommes rentrés mi-avril avec la ferme intention de rester.

Il n’y a plus un seul journal qui représente une autre opinion.

Mise au pas générale.
…J’ai jusqu’à fin septembre pour vider mon atelier à l’Académie….

Le 4 juillet….Dans le métro, Karl a été accosté par un SA en uniforme qui lui a demandé un ticket. Karl lui a donné de l’argent, il l’a pris en le remerciant.

Le 11 juillet, nous avons reçu une lettre de Hans dans laquelle il nous dit qu’on avait demandé son licenciement. Aujourd’hui, il est à Berlin pour voir s’il peut encore faire quelque chose et quoi.

1er août 1933 Karl vient d’apprendre qu’on lui a retiré aussi les caisses tarifaires.

18 septembre 1933 Hans a appris que les services administratifs avaient retiré leur demande de licenciement. Le soir même, il y a eu une perquisition chez eux. Mes livres aussi (Reissner, etc…) doivent être confisqués.

Journal de Käthe Kollwitz- « Mais il faut pourtant que je travaille » Éd. L’Atelier Contemporain

Traduction de l’allemand : Sylvie Pertoci

8 juillet 1867, naissance de Käthe Kollwitz à Königsberg

Extraits des « Souvenirs » de l’artiste qu’elle écrivit en 1923 à la demande de son fils, Hans.

Souvenirs
« Quand je suis née, mes parents avaient déjà eu quatre enfants. Nous vivions alors à Königsberg au numéro 5 de la rue de la Digue-aux-Saules. Je n’ai qu’un vague souvenir de la petite pièce où je dessinais, par contre je me souviens nettement des cours et des jardins. Nous passions par un petit jardinet pour aller dans une grande cour qui s’étendait jusqu’à la rivière, la Pregel. Là, accostaient des barques plates emplies de tuiles qu’on déchargeait dans la cour et empilait les unes sur les autres. Les espaces libres ménagés entre les piles de tuiles étaient un terrain de jeu pour nous et notre mère.

Käthe Kollwitz à 5 ans – 1872

Attenant à la cour, sur la gauche, un jardin avec son pavillon rond sur pilotis descendait également jusqu’à la Pregel. J’ai le souvenir d’avoir, un jour, entendu ma tante Lina, toute jeune encore, chanter dans ce pavillon. C’était magnifique quoique empreint de tristesse. Sur la droite, des bâtiments bas séparaient cette cour d’une autre qui n’avait qu’une ouverture sur l’extérieur. Des souvenirs forts et très présents à mon esprit sont liés à cette cour. En bas, sur les bords de la Pregel, il y avait un bateau lavoir où, un jour, on a retrouvé flottant, le corps d’une jeune fille morte. Le corbillard des pauvres est venu la chercher, un corbillard et un cercueil qui faisaient froid dans le dos.
Dans les bâtiments longs et bas qui séparaient les deux cours habitait un plâtrier ornementiste. J’étais souvent chez lui et le regardais faire ses moulages. Je sens encore l’odeur du plâtre mouillé qui emplissait la pièce basse.
Devant la maison, en partant de la cour, il y avait un passage qui menait à notre rue. Il arrivait que nos jeux nous conduisent par là, mais c’était plutôt rare ; les grands, eux, y passaient parfois à toutes jambes. Les petites nattes de Liese Ratke se défaisaient toujours quand elle courait ; alors son épaisse chevelure blonde comme les blés flottait au vent tel un drapeau.

Jusqu’à mes neuf ans nous avons habité rue de la Digue-aux-Saules. Nous, les enfants, en avons toujours gardé un souvenir nostalgique. Les cours étaient un espace où nous pouvions jouer sans fin aux aventuriers ».

(« Mais il faut pourtant que je travaille » – page 121- Éditions « L’Atelier Contemporain » 2019 Traduction de l’allemand : Sylvie Pertoci)

MENACÉ DE FERMETURE !

Le Musée Käthe Kollwitz de Moritzburg en Saxe est menacé de fermeture.

http://www.kollwitz-moritzburg.de

En avril 1995, 50 ans après la mort de l’artiste, on décida de restaurer la maison où elle s’était réfugiée, fuyant Berlin bombardé, et où elle est décédée quelques jours avant la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le 22 avril 1945.
La maison/musée près de Dresde en Saxe, entièrement consacrée à l’artiste, présente, en plus d’une collection de ses œuvres, les lieux où elle a séjourné les derniers mois de sa vie en compagnie de sa petite-fille, Jutta Bohnke-Kollwitz, alors âgée de 23 ans.

La maison/musée est aujourd’hui menacée de fermeture à cause d’une baisse drastique des subventions. Pour justifier cette baisse, les autorités régionales avancent, entre autres raisons, le fait que l’artiste n’était pas originaire de Saxe mais de Berlin !

L’artiste est née en 1867 à Königsberg en Prusse Orientale. Elle vécut 50 ans à Berlin, mais ses liens et son attachement à Dresde et à la Saxe sont évidents.

Dès 1898, Max Lehrs (1855-1938), directeur du Cabinet des Estampes de Dresde, remarque Kollwitz lors de la Grande Exposition de Berlin et devient le premier représentant d’un musée à acquérir des estampes de Käthe Kollwitz : « La Révolte des Tisserands ». Il devient, aux côtés de Max Liebermann, le principal soutien de la jeune artiste. (Voir l’excellente biographie éditée sur le site du Käthe Kollwitz Museum Köln) http://www.kollwitz.de

Il se portera acquéreur pour le Cabinet des Estampes de Dresde de nombreuses oeuvres de Käthe Kollwitz tout au long de sa vie. En 1903, il publiera un premier inventaire des 50 estampes de Käthe Kollwitz.

Et puis, quel lien plus fort que ses derniers mois à Moritzburg en 1945, veillée par sa petite-fille, Jutta Bohnke-Kollwitz.

Une pétition a été ouverte pour la préservation du Musée Käthe Kollwitz de Moritzburg.

Elle est accessible en allemand et en français à partir du lien ci-dessous.

https://www.openpetition.de/petition/unterzeichner/erhalt-der-kaethe-kollwitz-gedenkstaette-in-moritzburg-ruedenhof.

L’alerte a été lancée par le Dr Gerd Gruber de Wittenberg en Saxe et relayée par Sylvie Pertoci.

Nous vous remercions de votre engagement à travers cette pétition pour la préservation du Musée Käthe Kollwitz de Moritzburg.

Les Amis de Käthe Kollwitz

« Ne broyons pas nos graines de semence ! »

En novembre 1918, Käthe Kollwitz marquera, avec un grand courage, son opposition à la guerre par une lettre ouverte contre « L’appel à la poursuite de la guerre » de Richard Dehmel (1863-1920) – Écrivain et poète allemand.

« Hans Koch est passé, il a apporté des fleurs pour Peter. J’ai parlé avec lui de l’appel à combattre jusqu’au dernier de Dehmel et je lui lis ce que j’ai écrit à ce sujet. Il m’a dit, et c’était très important pour moi , que si c’était aujourd’hui il ne se porterait plus volontaire. » Journal – 22 octobre 1918

Lettre ouverte à Richard Dehmel – 30 octobre 1918 –

 » A Richard Dehmel [..]

Dans le « Vorwärts » du 22 octobre,  Richard Dehmel a publié un appel intitulé : « Unique Salut ». Il y exhorte les hommes aptes au combat à se porter volontaires. Il avance que, les « poules mouillées » une fois évincées,  une petite unité d’hommes prêts à mourir, triés sur le volet, répondrait à un appel des hautes autorités de la défense et qu’ainsi l’honneur de l’Allemagne serait sauvé.

Je m’élève contre Richard Dehmel. Comme lui, je présume qu’une petite unité triée sur le volet suivrait une telle exhortation à l’honneur. Elle serait, comme à l’automne 1914, composée essentiellement de jeunes Allemands si tant est qu’il y en ait encore. Il s’ensuivrait très probablement que les candidats au sacrifice seraient effectivement sacrifiés et qu’alors – après les  hémorragies quotidiennes des quatre dernières années – l’Allemagne serait exsangue. Ce qui resterait alors dans le pays ne serait plus, selon les propres conclusions de Dehmel, les forces vives de l’Allemagne. Celles-ci mêmes joncheraient les champs de bataille.  Une telle perte serait, d’après moi, bien plus grave, bien plus irremplaçable pour l’Allemagne que la perte de provinces entières.

Nous avons profondément revu nos certitudes durant ces quatre années. Y compris, me semble-t-il, notre notion de l’honneur. La Russie ne nous est pas apparue indigne quand elle accepta le traité de paix de Brest-Litovsk, scandaleusement dur. Elle le fit parce qu’elle se sentait tenue par l’obligation d’épargner les forces qui lui restaient pour reconstruire le pays. Tout comme l’Allemagne ne doit pas se sentir déshonorée si elle est obligée de conclure une paix forcée dans le cas d’un échec d’une paix juridique à cause de l’Entente. Fière et digne elle doit rester consciente qu’elle n’y perdra pas son honneur tout comme un individu ne le perd en se pliant à des forces qui lui sont supérieures. L’Allemagne doit mettre tout son honneur à se soumettre à son triste sort et à tirer de la défaite une force intérieure, résolue à se tourner vers l’immense travail qui l’attend.  

Que Richard Dehmel se porte volontaire pour le front, je le respecte. Tout comme j’ai respecté qu’il le fasse en 1914. Mais on ne doit pas oublier que Dehmel  a ses plus belles années derrière lui. Ce qu’il avait à donner  de plus merveilleux, de plus précieux,  il l’a déjà donné. Lui, une guerre mondiale ne l’a pas vidé de son sang à 20 ans.

Mais ces milliers innombrables qui, eux aussi, avaient à donner –et bien plus encore que leur seule jeune existence –, peut-on vraiment les tenir pour responsables d’avoir, justement à l’âge où l’on commence à vouloir déployer ses ailes, été jetés dans la guerre et d’être morts en si grand nombre ?

Assez de morts ! Plus un seul ne doit périr au combat ! Contre Richard Dehmel j’invoque un plus grand qui disait : « Les graines de semence ne doivent pas être moulues »« *

( Réponse de Käthe Kollwitz publiée le 30 octobre 1918 dans « Vorwärts » – Journal social-démocrate, créé en 1876 comme organe du SPD. )

* Citation extraite de « Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister » Goethe

« En 1941, la lithographie « Les graines de semence ne doivent pas être moulues » constitue le testament artistique de Käthe Kollwitz (…) L’artiste marque une nouvelle fois son opposition à la guerre. (Käthe Kollwitz Museum Köln). Elle le dira à son fils, Hans :

« J’ai donc encore fait un dessin sur le même thème : Des garçons, de vrais petits Berlinois, tels de jeunes chevaux piaffant d’impatience qui sont retenus une femme. La femme (une vieille femme) les a mis sous son manteau, elle les enveloppe de ses bras, de ses mains avec force et autorité. « Les graines de semence ne doivent pas être moulues » – Ce n’est pas un souhait ardent, mais comme « Plus jamais la guerre », un impératif, une injonction » Journal de Käthe Kollwitz – Décembre 1941

Lithographie crayon 1941 Käthe Kollwitz Museum Köln KN274

Traduction de Sylvie Pertoci. « Mais il faut pourtant que je travaille » Journal – Articles – Souvenirs de Käthe Kollwitz. Éditions « L’Atelier Contemporain » (2019)

http://editionslateliercontemporain.net/collections/ecrits-d-artistes/article/mais-il-faut-pourtant-que-je-travaille

À consulter : les sites des Musées Käthe Kollwitz en Allemagne, en particulier, la chronologie de la vie de Käthe Kollwitz mise en perspective avec l’histoire contemporaine de l’artiste sur le site du Musée de Cologne.

Käthe Kollwitz Museum Köln https://www.kollwitz.de/

Käthe Kollwitz Museum Berlin https://www.kaethe-kollwitz.de/en/

« Les Parents Éplorés »

22 octobre 1914 – Juillet 1932

Peter Kollwitz, le fils cadet de Käthe et Karl Kollwitz, est tué au Front, en Belgique, dans la nuit du 22 au 23 octobre 1914.

Peter Kollwitz octobre 1914

Nous publions la transcription d’une conférence donnée en 2014 aux Archives Nationales de France par l’historien américain, Jay Winter.

À l’occasion des commémorations du « Centenaire de la Grande Guerre », la rencontre avait pour thème « L’impact du deuil dans les sociétés du XXe siècle ». Jay Winter avait choisi de parler du long travail de deuil de l’artiste Käthe Kollwitz qui décida de sculpter un monument à la mémoire de son fils, Peter, tombé au Front à l’âge de 18 ans.

« .…Jay Winter est spécialiste de la Première Guerre mondiale et de ses impacts sur le xxe siècle. Il a écrit et codirigé de nombreux ouvrages dont « Sites of Memory, Sites of Mourning (Cambridge Univ. Press). En 1992, il fait partie de l’équipe qui persuade le maire d’Abbeville Max Lejeune de transformer le projet de 1986 de musée de la Première Guerre mondiale en Historial de la Grande Guerre » (Wikipedia)

Jay WINTER – CONFÉRENCE AUX ARCHIVES NATIONALES (France)

6 mars 2014

(Début de l’intervention de Jay Winter : 27’20)

« Je vais vous parler du voyage des parents auprès du corps de leur fils.

Il y a un an, j’ai eu le privilège de voir des objets qui venaient d’entrer aux Archives Nationales : Les carreaux de plâtre couverts de graffiti du camp de Drancy.

Vous présenter une œuvre d’art permet de voir le deuil à l’œuvre et pas seulement un ou des documents qui témoigneraient d’une petite partie du processus de deuil.

Chacun sait que le deuil s’étale dans le temps plus largement que par des étapes strictement énumérées par plusieurs psychanalystes.

L’œuvre de Käthe Kollwitz présente la langue du deuil. De plus, elle présente deux caractéristiques du deuil qui a suivi la Grande Guerre.

La première est la honte des parents qui ont béni leurs enfants à leur départ au front comme engagés volontaires.

Nous voyons ici deux parents à genoux implorant le pardon non seulement de leur fils mais de toute une génération dont la vie a été fauchée. La seconde caractéristique tient dans la différence opérée par le deuil dans le corps d’un homme et dans celui d’une femme.

L’homme, le père, à gauche, est fermé sur lui-même, incapable d’extérioriser ses douleurs qu’il retient contre sa poitrine.

Que voit-on ? C’est la division genrée du deuil de guerre. Cette image émouvante d’un homme et d’une femme séparés par le chagrin, incapables de se soutenir l’un l’autre, masque la disparition de leur fils.

Ce n’était pas du tout une Pietà. La guerre a fait voler la famille en éclats. Dans l’histoire des émotions, peut-on dire que les documents visuels, en 3 dimensions ont plus de force que les documents écrits ? Je laisse la question ouverte.

En 1932, un monument exceptionnel a été érigé au cimetière allemand de Roggeveld près de Vladslo en Belgique flamande. On le doit à Käthe Kollwitz.

Cette sculpture représente son époux et elle-même pleurant leur fils cadet tué sur le front en octobre 1914.

Je ne connais pas de monument dédié à la douleur de ceux qui ont perdu un enfant plus émouvant que cette simple sculpture de pierre où le père et la mère sont à genoux devant la tombe de leur fils. La sculpture ne comporte ni la signature de l’artiste, ni la trace d’un éventuel propriétaire de l’œuvre, ni même un indication qui permettrait de la situer dans l’espace et dans le temps. Elle nous montre la tristesse universelle de deux personnes d’âge mûr entourées par les morts comme un troupeau d’enfants perdus.

L’image est celle de l’artiste elle-même. C’est un autoportrait.

L’histoire du combat qu’elle mena pour commémorer la mort de son fils, Peter, témoigne à la fois de son humanité et de son talent. Elle réalisa là un mémorial intemporel, une œuvre d’art d’une extraordinaire force émotionnelle.

Dans ce monument dédié à son fils, elle porte l’art commémoratif à un niveau bien supérieur à celui de la plupart des artistes de son époque. Käthe Kollwitz avait 47 ans lorsque éclata la Grande Guerre. Elle comptait déjà dans le milieu artistique berlinois.

Ses lithographies « La Révolte des Tisserands » et « La Guerre des Paysans » avaient fait d’elle un graveur renommé et le poète par excellence des souffrances du peuple.

Elle était la petite-fille d’un pasteur de Königsberg dont le puissant sentiment de devoir inspire toute son œuvre.
Son époux, médecin (c’est aussi un portrait de lui) travaillait dans le quartier pauvre de

Prenzlauer Berg à Berlin où Käthe prit conscience des privations, des maladies, des drames de la population ouvrière qu’elle chercha ensuite à exprimer dans son art.

Elle souhaitait éviter tout formalisme et toute sophistication et privilégier le dessin et la gravure par souci de simplification et pour rendre immédiatement accessible l’humanité des sujets qu’elle traitait. Ses dessins sur la vie présente et passée de la classe ouvrière montrent qu’elle croyait à la nécessité de donner à toute chose une forme des plus concises de sorte que ce qui est essentiel soit fortement mis en valeur et que tout le reste passe à l’arrière-plan. Peter Kollwitz s’engagea très tôt dans la guerre et fut tué le 23 octobre 1914, à l’âge de 18 ans près de Langemark. En Allemagne, ce nom de Langemark devint immédiatement synonyme du sacrifice idéaliste de la jeunesse du pays.

Käthe Kollwitz annonça la nouvelle à l’une de ses amies par ce mot touchant :

« Ton joli châle ne réchauffera plus notre enfant ». À une autre elle confia : « Il y a dans nos vies une blessure qui ne pourra jamais se refermer et ne le doit pas ». En décembre 1914, elle avait conçu l’idée de réaliser une œuvre qui commémorerait le sacrifice de tous les jeunes volontaires. Son fils serait représenté le corps étendu, le père près de la tête, la mère à ses pieds. Elle pensa d’abord l’installer sur les hauteurs de Schilthorn.

Le temps passant, elle esquissa d’autres projets, tantôt plaçant Peter au-dessus de ses parents, tantôt montrant les parents à genoux, leur fils dans les bras, ou encore enveloppant le corps du jeune homme dans une couverture. Puis, elle envisagea l’idée qu’un bas-relief représentant les parents fût placé sur sa tombe près de l’entrée du cimetière de guerre où son fils était enterré. C’est au cours du mois de novembre 1917 que le bas-relief se transforme en sculptures. Les parents à genoux devant le tombeau de l’enfant, inclinés l’un contre l’autre, la tête de la mère posée sur l’épaule du père. Ils n’ont jamais envisagé de rapatrier le corps à Berlin.

En 1919, mécontente de toutes ses esquisses, Käthe Kollwitz mis temporairement son projet de côté. Elle était décidée à ne la reprendre que lorsqu’elle y verrait définitivement plus clair. « Je reviendrai, je finirai ce travail pour toi, pour toi et pour tous les autres », note-t-elle dans son journal en juin de cette année-là. Ce qu’elle fit cinq ans plus tard.

Son idée était alors de faire la sculpture d’un couple de parents à genoux devant la tombe de leur fils et de placer à l’entrée du cimetière ces deux figures monumentales sur le modèle égyptien par lesquelles passeraient les visiteurs.

En octobre 1925, elle commença à sculpter le couple. L’année suivante, en juin, alors qu’elle visitait avec son époux le cimetière de guerre allemand de Roggevelde, elle eut une nouvelle idée. « Le cimetière est proche de la grand’route. L’entrée est une simple ouverture faite dans la haie qui l’entoure. Il est fermé par du fil barbelé. Quelle impression ! Une succession de croix de bois et, sur chaque tombe, ou presque, une petite croix de bois jaune. Au centre, une petite plaque portant noms et numéros. C’est ainsi que nous avons trouvé notre tombe. Nous avons cueilli trois petites roses à un églantier sauvage en fleurs, les avons posées sur le sol à côté de la croix ».Tout ce qui reste de lui repose ici dans cette tombe toute simple. Nous avons cherché où il serait possible de placer mes personnages sculptés. J’ai pensé que le mieux serait de les placer à l’entrée, le long de la haie. Ils auraient tout le cimetière devant eux. Heureusement, il n’y a pas une seule statue dans le cimetière. Il en émane une impression générale de sévérité et de solitude. Tout est tranquille et les alouettes chantent gaiement ».

Le projet l’occupa encore plusieurs années et, ce n’est seulement qu’en avril 1931 qu’elle put le considérer comme abouti. « Peter, je te l’apporterai ».

Son travail fut exposé à la Galerie Nationale de Berlin avant d’être transporté en Belgique où il fut installé, non pas à l’entrée mais à côté de la tombe de son fils. Juste à côté du cimetière de Vladslo où l’ensemble des tombes a été déménagé dans les années 50. On peut encore les voir aujourd’hui. Le mémorial de Käthe Kollwitz est une offrande faite à son fils mort pour sa patrie. Elle ne put l’achever que 18 ans après qu’il eut disparu. Cela en dit long sur le processus de deuil qu’elle exprime de façon si émouvante dans son journal et dans son œuvre.

Voici ce qu’elle écrivait le 31 décembre 1914 : « Mon Peter, j’essaie de te rester fidèle, qu’est-ce que cela signifie ? Aimer mon pays à ma façon, comme tu l’as aimé à la tienne, et faire en sorte que cet amour se concrétise. M’occuper des jeunes gens et leur être fidèle. Et puis, je dois faire mon travail. Ce travail, mon enfant, dont tu fus privé. Je veux aussi honorer Dieu dans mon œuvre, ce qui veut dire que je veux être honnête, vraie et sincère. Quand j’essaie d’être ainsi, mon Cher Peter, je te demande d’être près de moi, de m’aider, de te montrer à moi. Je sais que tu es présent mais je ne te vois que vaguement comme si tu étais dans un brouillard. Reste avec moi ! »

Elle passait des heures, assise dans la chambre de son fils. En octobre 1916, elle écrivit encore : « Je puis sentir l’être de Peter. Il me console, il m’aide dans mon travail ».

Elle rejetait l’idée que les esprits puissent revenir ici-bas mais croyait que l’on pouvait établir une connexion ici dans la vie des sens entre la personne physique vivante et l’essence d’une personne physiquement morte. Appelez ça de la théosophie, du mysticisme, ce n’était pas moins vrai. « Je l’ai senti mon garçon, bien des fois ».

Même quand la douleur de la perte commença à s’apaiser, elle continua à parler à son enfant mort, en particulier, quand elle travaillait sur le mémorial. Et son fils ne cessa de hanter ses rêves. Comme d’autres parents à travers le monde, elle sentait réellement sa présence.

Ce qui confère au deuil de Käthe Kollwitz une dimension supplémentaire, c’est le sentiment de culpabilité qui l’anime. Le remord de la génération précédente pour le massacre des plus jeunes. Ce sentiment était né en elle de la décision de son fils de se porter volontaire en 1914, mais son attitude pleine d’appréhension restait néanmoins positive. Elle avait une vision internationaliste et n’aimait pas l’arrogance de l’Allemagne officielle. Mais, comme elle le répéta souvent, elle croyait que l’intérêt personnel devait s’effacer devant le devoir de nature supérieure. Bien avant 1914, elle estimait déjà, avec Hegel et d’autres, que la Patrie est le fondement de la vie individuelle. Elle savait que son fils s’était engagé par patriotisme, le cœur pur, pour l’amour d’une idée, d’une obligation, ce qui ne l’avait pas empêché de pleurer amèrement son départ. Plus tard, pendant la guerre, quand elle comprit que cet idéalisme était hors de propos et que son fils s’était sacrifié pour rien, elle en conçut une grande douleur.

Elle commença à s’éloigner de lui. « Ma foi en toi s’est-elle brisée, Peter, demande-t-elle ainsi en octobre 1916,  si je ne vois plus dans la guerre que folie ? » Il était mort en croyant dans son pays, comment sa mère pouvait-elle trahir cette croyance ? Et comprendre que la guerre n’avait été qu’une entreprise futile, c’est reconnaître encore plus douloureusement que c’est son fils et toute sa génération qui avaient été trahis.

Cette idée était terrible, mais elle sut la regarder en face pour lui donner une forme artistique en trois dimensions. C’est une des raisons pour lesquelles il lui fallut tant de temps pour réaliser ce monument et qu’elle s’y représente elle-même aux côtés de son époux à genoux devant la tombe de leur fils. Ils étaient là pour lui demander de leur pardonner leur incapacité à trouver une autre issue, leur échec à empêcher la folie de la guerre qui avait mis fin à sa vie.

Käthe Kollwitz parle aussi dans son journal de son besoin de s’agenouiller et de laisser passer Peter à travers elle. « Sentir que je ne fais plus qu’une avec lui ». Cette forme de prière était d’une grande importance pour elle. Elle montrait que, malgré la profondeur de son chagrin, elle n’avait jamais renoncé à sa foi humaniste et chrétienne.

Ils forment tous les trois un triptyque et montrent un corps qui ressemble beaucoup au « Christ mort » de Holbein.

En 1903, elle réalisa une gravure intitulée « Femme avec un enfant mort » (Pietà), et devint célèbre pour les images représentant des mères et leurs enfants. L’une de ses gravures les plus émouvantes représente une femme aux traits primitifs tenant dans ses bras un enfant mort, pour qui son fils Peter (alors âgé de 4 ans) avait, de manière incroyable, servi de modèle. Mais, c’est sans doute dans son œuvre gravée (1920) pour la mort de Karl Liebknecht, assassiné en 1919, où elle s’attarde plus sur la souffrance des ouvriers que sur celle du chef assassiné, que ce thème, emprunté aux lamentations chrétiennes, trouve son expression la plus aboutie.

Nous voyons ici toute l’influence de la sculpture chrétienne d’Ernst Barlach, dont Kollwitz admirera plus tard le mémorial de la guerre dans la cathédrale de Güstrow. C’est le visage de Käthe Kollwitz que Barlach a choisi pour son ange.

Le « Marie et Élisabeth » de Käthe Kollwitz est issu de la « Contemplation », peinture religieuse attribuée à Konrad Witz, que l’on trouve à la Galerie d’Art de Berlin – Dahlem.
Ce retour à la Renaissance allemande n’avait, dans la période d’après-guerre, rien d’exceptionnel. Ce qui distinguait le mémorial de Kollwitz de tant d’autres, d’inspiration religieuse ou non, c’était sa grande simplicité et sa capacité à échapper à toute école artistique et à toute idéologie.

Le mémorial à son fils Peter était habité d’une intemporalité issue du talent même de l’artiste qui avait su prendre un ancien cadre religieux et l’adapter à une catastrophe vraiment moderne.

Lorsque j’ai vu ce mémorial, il tombait une légère bruine comme il arrive très souvent dans cette région de Belgique. Le résultat était extraordinaire. J’ai été là avec mes étudiants une dizaine de fois, et, à chaque fois, c’est la même chose, le résultat est extraordinaire. J’avais devant moi deux personnages de granit, penchés en avant, le visage ruisselant de pluie. Je ne sais pas si elle sut qu’il serait inévitable que les sculptures soient vivantes de cette manière.

À Vladslo, à genoux, Käthe kollwitz incarne une famille dont nous faisons tous partie. C’est la famille réunie dans le cimetière, pas du tout à la maison et c’est sans doute exactement ce qu’elle avait souhaité. Le plus intime et aussi le plus universel.

Le fait d’avoir placé ce mémorial dans le cimetière militaire où son fils avait été enterré, c’était convier l’humanité à une ultime réunion de famille, là, à un avant-goût de ce que, conformément à la foi religieuse, le destin nous réserve à tous, à un moment ou à un autre.

Ce sentiment de complétude, de consolation, de transcendance apparaît de façon transparente dans la manière dont elle raconte la dernière visite qu’elle fit au mémorial en 1932. Elle y était venue seule avec son époux : « Nous nous sommes avancés vers les figures de la tombe de Peter et tout semblait vivant, tout semblait complètement senti. Je restais devant la femme et je regardais mon propre visage puis je pleurais et caressais mes joues. Karl se tenait près de moi, je ne m’en rendis même pas compte. Je l’entendis murmurer « Oui, oui ». Comme nous étions proches l’un de l’autre à cet instant ».

Peter Kollwitz a été tué à 18 ans en1914. Presque trente ans après, en octobre 1942, la famille Kollwitz a subi une deuxième disparition en Russie. Le petit-fils de Käthe Kollwitz, le fils de son fils aîné, nommé Peter aussi en mémoire du premier, a été tué sur le Front de l’Est pendant la seconde guerre mondiale. (Pendant la terrible bataille de Rschew/Rjev en Russie à 200 km de Moscou).

Käthe Kollwitz est morte de chagrin en 1945.

En 2015, une copie exacte de ce monument de Vladslo sera placée en Russie* dans le cimetière militaire dans lequel les restes de son petit-fils, Peter, (1921-1942) viennent d’être identifiés. (*Ce qui a été fait en septembre 2014).

La famille Kollwitz a été mutilée deux fois par la violence des guerres. C’est un siècle de deuil, la longue durée du deuil qui s’achève face à ce monument extraordinaire conçu par une mère pour son fils. »

(Transcription : Maryse Magnier)

N.B. Une copie des « Parents Éplorés » « Die Trauernden Eltern » a été érigée en 1959 dans les ruines de l’église Sankt Alban à Cologne.

En 2014, les citations reprises par Jay Winter sont extraites du Journal de Käthe Kollwitz qui a depuis été entièrement traduit par Sylvie Pertoci et publié aux Éditions « L’Atelier Contemporain » en 2019 sous le titre « Mais il faut pourtant que je travaille ». http://editionslateliercontemporain.net/collections/ecrits-d-artistes/article/mais-il-faut-pourtant-que-je-travaille

À relire notre article du 28 juin 2016 : « La Guerre et la Mémoire des Hommes » https://kaethekollwitz.org/2016/06/28/la-guerre-de-la-memoire-et-des-hommes/

Des Vivants au Mort

15 janvier 1919

Gedenkblatt-Karl-Liebknecht (1)

Mémorial à Karl Liebknecht

Aujourd’hui, les cheminots sont en grève. Contre le gouvernement Ebert-Scheidemann. Ceux du métro aussi font grève aujourd’hui, pour leurs salaires.

Ça n’a pas été facile d’aller jusqu’à l’atelier. Le quartier de Moabit est bouclé. Les ponts sont gardés par des soldats armés de grenades. Ils fouillent les gens à la recherche d’armes.

On sent nettement un vent contre-révolutionnaire. Hoetzsch* et Traub** ont pris la parole au cirque Busch. Le drapeau noir-blanc-rouge est déployé. « Salut à toi, couronné des lauriers de la victoire » et « Deutschland ! Deutschland über alles !

……..

Freiheit parle de la façon monstrueuse dont on traite les prisonniers de la ligue spartakiste.

16 janvier 1919

Lâche et révoltant assassinat de Liebknecht et de Luxemburg.

19 janvier 1919

Dimanche. Les élections. J’ai voté pour la première fois. J’y suis allée avec Karl. Hans est allé voter plus tard tout seul, car le matin il était à l’hôpital militaire. Pour lui aussi, c’était la première fois.

Je me faisais une joie de cette journée, et maintenant qu’on y est, je suis à nouveau partagée et indécise. J’ai voté pour les Socialistes majoritaires. Pas pour la personne de Scheidemann, qui était en tête de liste. Mais pour l’idée que représente le socialisme majoritaire. Je sens que je suis plus à gauche, mais je ne peux pas voter indépendant ne serait-ce que parce que Eichhorn est candidat.

Hier soir, j’étais chez Einstein : une réunion avec Helene Stöcker, Nicolai et un avocat en vue de créer une ligue des droits de l’homme.

Pour contester la dictature militaire brutale et protester contre l’assassinat des dirigeants. Alex Bloch.

L’avocat nous a raconté qu’un fils de Liebknecht avait refusé tout le temps de la guerre de manger plus que sa ration réglementaire. On retrouve là chez lui le même sens rigide et inflexible de la justice que son père avait.

On dit aussi que Liebknecht descendrait de Luther du côté paternel.

Une jeune spartakiste est recherchée par la police.

On rapporte des choses affreuses sur les actes de violence de la Garde Blanche.

………………

Samedi 25 janvier 1919

Aujourd’hui, c’est l’enterrement de Karl Liebknecht et de 38 autres Spartakistes fusillés.

J’ai obtenu le droit de le dessiner, je suis allée tôt à la morgue. Il était exposé dans la chapelle ardente à côté des autres cercueils. Le front criblé de balles, ceint de fleurs rouges, le visage fier, la bouche entrouverte tordue par la douleur. On pouvait lire comme de l’étonnement sur son visage. Ses mains reposaient sur ses cuisses et il avait quelques fleurs rouges sur sa chemise blanche. Il y avait là plusieurs personnes que je ne connaissais pas. Karl, Hans et Stan étaient avec moi. Stan dessinait aussi. Ensuite, je suis rentrée avec mes dessins et j’ai essayé d’en faire un, meilleur, qui en soit la synthèse.

Lise est allée en ville pour suivre le cortège. L’énorme cortège de manifestants constamment dévié – tout le centre ville était bouclé par la Garde Blanche – a défilé jusqu’à la Bülowplatz en passant par Moabit. De là, il devait continuer jusqu’à Friedrichshain. Lise n’est pas allée plus loin. A partir de Friedrichshain, le défilé a suivi les cercueils.

Comme toutes ces mesures sont hypocrites et mesquines. Quand Berlin – une grande partie de Berlin – veut enterrer ses morts au combat, cela n’a rien de révolutionnaire ! Même entre les batailles il y a des heures de répit pour inhumer ses morts.

C’est indigne et provoquant d’ infliger ce déploiement militaire à ceux qui accompagnent Liebknecht au tombeau. Et c’est un signe de faiblesse de la part du gouvernement d’être obligé de tolérer cela.

Quand nous étions encore à la morgue, une vieille femme prolétaire s’est présentée. Ne pourrait-elle pas une dernière fois voir la dépouille ? Combien de gens comme elle suivent ces cercueils ! Stan nous a dit que maintenant elle est parfois abordée par des gens du groupe Spartakus. Récemment, une jeune femme lui a pris la main en lui disant : « Vous vous rappelez quand nous avons attaqué Vorwärts ? »

Une communauté éclatée, a dit Stan. Une communauté éclatée qui se terre, qui fuit.

Karl a assisté à tout le défilé. C’était bouleversant de voir une telle foule avec la même expression sur le visage.

Stan est allée au cimetière. On les a enterrés dans une fosse commune.

Pour Rosa Luxemburg, il y avait un cercueil vide à côté de celui de Liebknecht.

Zietz, Hoffmann, Levi et Breitscheid ont pris la parole. Quel supplice, tout ce tapage public pour la femme de Liebknecht ! Elle s’est évanouie.

Un monde fou se pressait autour de la tombe. Les gens se poussaient, se disputaient pour être devant

…………………………………….

Octobre 1920

En tant qu’artiste j’ai le droit de puiser dans tout ce réservoir d’émotions, de m’en imprégner pour ensuite le restituer. J’ai ainsi donc le droit de représenter l’adieu des ouvriers à Liebknecht, de le leur dédier même, sans pour autant être sur la ligne politique de Liebknecht.

(En 1920, Käthe Kollwitz réalise une gravure sur bois                                                    « Die Lebenden dem Toten », mémorial à Karl Liebknecht).

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Le 3 décembre 1914, Käthe Kollwitz écrivait dans son Journal :

 « Hier, a eu lieu la deuxième séance du Reichstag pour le vote des nouveaux crédits de guerre. Cette fois encore, tous les partis ont parlé d’une même voix –

seul Liebknecht est resté ostensiblement assis ».

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Extraits du Journal de Käthe Kollwitz, paru en 2019 aux éditions « L’Atelier Contemporain » sous le titre « Il faut pourtant que je travaille », traduit de l’allemand par Sylvie Pertoci. Titre original « Die Tagebücher, 1908-1943 » éditions btb

N.B. Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont enterrés au cimetière de Berlin-Friedrichsfelde

*Otto Hoetzsch (1876-1946) Historien, homme politique conservateur, député au Reichtag de 1920 à 1923.

** Gottfried Traub (1869-1956) Pasteur, homme politique nationaliste, député du Parti National du Peuple Allemand (DNVP) au Reichstag de 1919 à 1920

2019, année « Käthe Kollwitz » en France

Grâce à la première grande exposition rétrospective de son œuvre au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, (4 octobre 2019/12 janvier 2020) et la parution ce 10 septembre de la traduction intégrale du journal intime de l’artiste tenu de 1908 à 1943.

KaetheKollwitz

À notre connaissance, c’est la première traduction complète de ce journal (une dizaine de cahiers en cuir noir). On le doit au courage et à la volonté de l’éditeur François-Marie Deyrolle, Directeur des éditions « L’Atelier Contemporain », spécialisées, entre autres, dans la publication d’écrits d’artistes. Pour une traduction comme celle-ci, Il aura fallu le talent et l’opiniâtreté de la traductrice Sylvie Pertoci qui n’a ménagé ni son temps ni son énergie pour rendre fidèlement la lettre et l’esprit des écrits de Käthe Kollwitz.

L’édition française du journal de Käthe Kollwitz qui a pour titre « Mais il faut pourtant que je travaille », citation extraite du journal, comprend également la traduction de ses Souvenirs et d’articles, ses hommages à Rodin et à Klinger, qui nous disent beaucoup de son intelligence, de sa curiosité et de sa perception si fine de la réalité.

Le format du livre (21×25 cm) en facilite la lecture. Il comprend plus de 200 illustrations et il est édité en partenariat avec le Goethe-Institut et le Käthe Kollwitz Museum de Cologne qui a, par ailleurs, prêté de nombreuses œuvres pour l’exposition du Musée d’Art Moderne de Strasbourg.

Käthe Kollwitz n’est pas dans un Olympe de la Création, loin des mortels et des « soins qui les dévorent ». Pendant plus de 50 ans, à Berlin Prenzlauer Berg, immergée au cœur de la vie réelle, elle est témoin, à travers le travail de son mari, Karl Kollwitz, « du fardeau et de la tragédie insondables de la vie des prolétaires ».

« … Quand je rencontrais les femmes que mon mari soignait et qui venaient également me voir pour chercher un réconfort, j’étais profondément touchée par le destin du prolétariat dans toutes ses dimensions. Des problèmes insolubles, comme la prostitution et le chômage, me tourmentaient et m’affectaient. Ils ont contribué à mon engagement à témoigner des souffrances des plus pauvres. En ne cessant de dépeindre leurs vies, je me ménageais une soupape qui m’aidait à supporter la vie ». (Käthe Kollwitz, 1941, Souvenirs d’après 1898).

Cette soupape, comme elle l’écrit, elle la trouve d’abord dans la création, souvent difficile, faite de doutes, de renoncements et de fulgurances. Elle ne s’autorise pas à s’ouvrir à son entourage, ne veut pas parler de ses craintes, de ses frayeurs, de ses souffrances, physique et psychologique, en particulier après la mort de son fils Peter : « il y a tant de souffrances plus grandes que la mienne » dira-t-elle. C’est ainsi qu’elle cherchera également un réconfort dans l’écriture, en confiant à ses carnets, avec une grande honnêteté et une grande lucidité tous ses troubles, ses questionnements sur la vie et le monde, ses angoisses et son intérêt pour tous ceux et tout ce qui l’entourent. Elle s’inquiète pour ses proches, ses amis, ses voisins, ses collègues.. Elle sait reconnaître ses erreurs de jugement. Elle n’est pas tendre envers elle-même.

Elle est curieuse et à l’écoute du « bruit et de la fureur » du monde. La fureur qui la rattrapera sous le Nazisme. Nazisme qu’elle combattra jusqu’au bout dans une dernière œuvre graphique, alors qu’elle est très affaiblie par la maladie.

« Une fois de plus, la dernière, j’ai décidé de reprendre le même thème et j’ai dit à Hans (son fils aîné), il y a quelques jours : « Voici mon dernier mot, mon testament : « Ne broyons pas nos graines de semences ! ». Ces derniers jours, je me sentais le cœur incroyablement lourd. Ainsi, une fois de plus, j’ai dessiné le même sujet, des garçons, de vrais petits berlinois qui reniflent avidement l’air du dehors comme de jeunes poulains et qu’une femme essaie de retenir. La femme, une vieille femme protège les enfants contre elle, sous son manteau ; de force, elle les maîtrise en les entourant de ses bras et de ses mains. Ce cri, « Ne broyons pas nos graines de semence » », comme « Plus Jamais de Guerre ! », n’est pas un souhait, mais bien un commandement, une exigence ». (Käthe Kollwitz, lettre à Beate Bonus-Jeep, fin 1941)

À travers son Journal, écrit de 1908 à 1943, ses Souvenirs et sa correspondance, Käthe Kollwitz ne nous parle pas du temps perdu et retrouvé au détour d’une « madeleine » bourgeoise, corsetée et figée.

Avec toute son humanité, sa sensibilité, elle nous parle des femmes et des hommes, de leurs rêves, de leurs joies, de leurs souffrances et de leurs désirs.

Elle nous parle d’amour et de fraternité.

Elle nous parle de nous.

Maryse Magnier

L’Atelier Contemporain

http://editionslateliercontemporain.net/collections/ecrits-d-artistes/article/mais-il-faut-pourtant-que-je-travaille

 

http://www.kollwitz.de

http://www.kollwitz.de/

Goethe Inst Logo

 

 

 

https://www.goethe.de/ins/fr/fr/ver.cfm?fuseaction=events.detail&event_id=21612303

 

https://www.musees.strasbourg.eu/web/musees/k%C3%A4the-kollwitz-%C2%AB-je-veux-agir-dans-ce-temps-%C2%BB

 

 

 

 

 

Käthe Kollwitz wird offiziell in die Ruhmeshalle Walhalla aufgenommen

In einem Festakt mit anschließendem Staatsempfang wird die Büste von Käthe Kollwitz am 29. Mai 2019 in der WALHALLA in Donaustauf bei Regensburg aufgestellt.

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Bereits im Dezember 2017 beschloss der bayrische Ministerrat die Aufstellung der Kollwitz Büste. Der damalige Kunstminister Dr. Ludwig Spaenle würdigte die Künstlerin als eine große deutsche Persönlichkeit, die auf ihrem Gebiet Herausragendes geleistet hat:
Käthe Kollwitz berührt mit ihren Werken bis heute. Ihr Schaffen umfasst alle große Lebensthemen. Sie stellt mit ihrem Leben und ihrer Haltung ein Vorbild dar, auf das alle Deutschen stolz sein können. Ihr Werk spiegelt menschliches Leid, Tod und Trauer. Es eröffnet auf einzigartige Weise die Perspektive von Frauen auf Kriegserfahrungen.

Der Vorschlag zur Aufstellung einer Büste von Käthe Kollwitz geht auf Gabriele Meuer und ihre Initiative « Käthe Kollwitz zu Ehren » zurück. Als Schulprojekt der 10. Klasse an der Käthe-Kollwitz-Schule in Hannover gestartet, konnte Gabriele Meuer mit ihren Schüler*innen viele weitere Kollwitz-Schulen in Deutschland von ihrer Idee begeistern und sich auch der Unterstützung der Käthe Kollwitz Museen in Berlin, Köln und Moritzburg sowie der Akademie der Künste Berlin vergewissern.
Im vergangenen Jahr hat die Initiative 30.000 Euro an Spenden gesammelt, um die Schaffung und Aufstellung der Büste zu finanzieren. Als gestaltenden Künstler für die Büste gewannen sie den Hannoveraner Bildhauer Uwe Spiekermann. Höchstpersönlich habe Spiekermann Marmor Bianco Statuario aus dem Südtiroler Ort Laas geholt. Dort werde der Stein in mehr als 2.000 Metern Höhe nur unter Tage abgebaut. Die Schüler*innen der Kollwitz-Schule Hannover begleiteten den Werkprozess in ihrem Schulblog « Käthe goes Walhalla » und besuchten den Künstler mehrfach in seiner Werkstatt.
Selbstverständlich werden sie auch bei der Aufstellung der Büste in Donaustauf dabei sein, wenn Gabriele Meuer als Leiterin der Initiative das Grußwort spricht und Uwe Spiekermann seine Büste erläutert. Hannelore Fischer, Leiterin des Käthe Kollwitz Museums in Köln, wird den Festvortrag halten. Auch die Familie Kollwitz wird an dem Festakt teilnehmen.

DonaustaufDie 1842 im Auftrag von König Ludwig I. erbaute Ruhmes- und Ehrenhalle Walhalla in Donaustauf bei Regensburg ehrt herausragende Deutsche durch die Aufstellung einer Büste. Derzeit befinden sich 130 Büsten und 64 Gedenktafeln in der Walhalla. Für eine Aufnahme sollte die in Frage kommende Persönlichkeit wenigstens 20 Jahre tot sein, der germanischen Sprachfamilie angehören und Bedeutendes in Politik, Sozialwesen, Wissenschaft oder Kunst geleistet haben. Entscheidungen über Aufstellungen erfolgen im Abstand von etwa fünf bis sieben Jahren.

kaethe-kollwitz-logo

http://www.kollwitz.de

1. Mai 1922

 

MärzFriedhof

Märzfriedhof Okt 1913 (Lithografie)

Berlin. Kalt, windig, regnerisch.

Trotz allem eine Demonstration im Lustgarten, wie wir sie noch nicht sahen. Die Sozialdemokraten, die Unabhängigen und die Kommunisten demonstrierten gemeinsam. Endlose Züge vereinigten sich und strömten zusammen. Die roten Fahnen wehten im Winde, Musikkapellen spielten die Internationale und die Marseillaise, mit kränzen geschmückte Kinder zogen im Zuge, offene Wagen gab es mit roten Blumen und Bändern geschmückt auch für die Kinder, die roten Fahnen mit dem Sowjetstern flatterten neben denen der SPD. Ein herrliches Bild gemeinsamer froher festlicher Kampfesstimmung. Noch Kampfesstimmung, noch ist der 1. Mai ebenso oder noch mehr Kampftag als Festtag, aber doch auch schon Festtag. Internationaler Weltfeiertag !

Käthe Kollwitz, Die Tagebücher 1908-1943

btb Verlag – Seite 531

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1er mai 1922

MärzFriedhof

Märzfriedhof, Okt 1913- Cimetière de mars, oct 1913 (Lithographie)

Berlin. Froid, vent, pluie

Malgré cela, une manifestation dans le parc comme nous n’en avions jamais vue.

Les Socio-démocrates, les Indépendants et les communistes manifestaient ensemble.

Des cortèges sans fin se réunissaient. Les drapeaux rouges volaient dans le vent, des orchestres jouaient l’Internationale et la Marseillaise, des enfants ornés de couronnes défilaient, il y avait aussi pour les enfants des voitures découvertes décorées de roses rouges et de rubans, les drapeaux rouges avec l’étoile des soviets flottaient à côté de ceux du SPD. Un magnifique tableau d’un désir de combat commun, joyeux et solennel. Mais encore un désir de combat – le premier mai est encore plus un jour de combat qu’un jour de fête-, mais il commence aussi à devenir un jour de fête. Jour de fête du monde, international !

« Journal, 1908-1943- Käthe Kollwitz » (page 243) – Édition l’Atelier Contemporain.

Traduction Micheline Doizelet et Sylvie Doizelet

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