Misère, feuillet 1 du cycle « La Révolte des Tisserands », 1893-97, lithographie au crayon et à la plume, racloir et technique de grattage, Kn 33 II (Kl 34 II a) © VG Bild-Kunst, Bonn 2005
Käthe Kollwitz, depuis l’enfance, a baigné dans un contexte familial propice à la réflexion. Elle s’imprègne de littérature allemande, russe, anglaise et française. Le soir, son père lit à haute voix les poètes révolutionnaires de mars (1848) et ils jouent avec ses enfants les grands classiques du théâtre européen.
Käthe Kollwitz est une enfant de la littérature, de la poésie et du théâtre. Le théâtre qui est encore, à la manière grecque, le lieu des grandes interrogations humaines.
A Berlin, Elle fréquente la «Freie Volksbühne» (la Scène Populaire Libre) , créée par son frère Konrad Schmidt sous forme associative qui lui permet d’échapper à la censure.
La «Freie Volksbühne» est créée sur le modèle de la «Freie Bühne» mais à la différence de celle-ci, il s’agissait non seulement de prendre position esthétiquement mais aussi de donner la possibilité au prolétariat de faire connaissance avec l’art théâtral.
En 1893, elle y découvre une pièce de Gerhard Hauptmann «La Révolte des Tisserands» qui décrit la révolte des tisserands de Silésie contre la famine en 1844.
En cette fin de XIXe siècle, marquée par les conflits sociaux de l’époque de Bismarck, «La Révolte des Tisserands», cycle d’art engagé, devient un symbole de lutte contre l’oppression ouvrière par les forces libérales. Gerhart Hauptmann en fait le thème de sa pièce «Die Weber», créée le 23 février 1893 à la «Freie Volksbühne».
«L’effet était bouleversant (…) Cette représentation a été un événement clef dans mon travail». (Rückblick auf frühere Zeit, 1941).
Elle commence à travailler sur un cycle de gravures qui annonce les grands thèmes de l’artiste : les luttes sociales, la condition du prolétariat, la mère et l’enfant, la mort.
Le sujet traité apparaît hautement subversif, d’autant qu’il évoque les événements qui ont prévalu à la naissance du socialisme en Allemagne.
Lorsqu’elle présente «La Révolte des Tisserands» à Berlin lors de la Grosse Berliner Kunstausstellung de 1898, Adolph von Menzel, avec le soutien de Max Liebermann, propose Käthe Kollwitz pour la médaille d’or. L’Empereur Guillaume II la lui refuse.
(Silke Schmickl – L’histoire par l’image).
Ainsi que le reconnut l’artiste elle-même en 1941, le cycle des « Tisserands », élaboré entre 1893 et 1897 a été son œuvre la plus connue de son vivant.
L’artiste choisit tout d’abord de réaliser trois œuvres par procédé lithographique en raison d’une incertitude technique, avant de parvenir à créer les trois dernières gravures à l’eau-forte. Les deux feuillets introductifs illustraient les causes de la révolte, issues de l’indigence matérielle des tisserands.
La première estampe « Misère » expose le désespoir muet d’une mère penchée sur son enfant malade, déjà marqué par la mort imminente.
Le deuxième feuillet traite de la « Mort », laquelle vient ravir une femme à sa famille ; l’écuelle renversée sur la table ne fait aucun doute sur la cause de la mort.
La troisième lithographie « Conspiration » a pour sujet la fomentation de la révolte. Elle montre quatre hommes en conciliabule au bout d’une table.
Les trois dernières estampes représentent le déclenchement, le point culminant et l’effondrement de la révolte :
Celle-ci débute dans le quatrième feuillet par la « Marche des Tisserands » vers la maison de l’exploiteur devant laquelle, comme le montre le cinquième motif, s’organise une « Émeute ». La dernière eau-forte, la « Fin » traduit l’écrasement manu militari de la révolte : deux femmes pleurent les morts, dont un qui est transporté à l’intérieur de la pièce. De la vapeur de poudre dénote la poursuite des combats.
Mort, feuillet 2 du cycle « La Révolte des Tisserands », 1893-97, lithographie au crayon et au pinceau ainsi qu’à la plume, racloir et à technique de grattage, Kn 34 A a (Kl 35 II a) ©VG Bild-Kunst, Bonn 2005
Conspiration, feuillet 3 du cycle « La Révolte des Tisserands », 1893-97, lithographie au crayon, racloir et à technique de grattage, Kn 35 A II a (Kl 36 b) © VG Bild-Kunst, Bonn 2005
Marche des Tisserands, feuillet 4 du cycle « La Révolte des Tisserands », 1893-97, cliché au trait et émeri, Kn 36 II a (Kl 32 I a) © VG Bild-Kunst, Bonn 2005
Emeute, feuillet 5 du cycle « La Révolte des Tisserands », 1893-97, cliché au trait et émeri, Kn 37 II a (Kl 33 II a) © VG Bild-Kunst, Bonn 2005
Fin, feuillet 6 du cycle « La Révolte des Tisserands », 1893-97, cliché au trait, aquatinte, émeri et grattoir, Kn 38 II a (Kl 37 II) © VG Bild-Kunst, Bonn 2005
Maryse Magnier