En novembre 1918, Käthe Kollwitz marquera, avec un grand courage, son opposition à la guerre par une lettre ouverte contre « L’appel à la poursuite de la guerre » de Richard Dehmel (1863-1920) – Écrivain et poète allemand.
« Hans Koch est passé, il a apporté des fleurs pour Peter. J’ai parlé avec lui de l’appel à combattre jusqu’au dernier de Dehmel et je lui lis ce que j’ai écrit à ce sujet. Il m’a dit, et c’était très important pour moi , que si c’était aujourd’hui il ne se porterait plus volontaire. » Journal – 22 octobre 1918
Lettre ouverte à Richard Dehmel – 30 octobre 1918 –
» A Richard Dehmel [..]
Dans le « Vorwärts » du 22 octobre, Richard Dehmel a publié un appel intitulé : « Unique Salut ». Il y exhorte les hommes aptes au combat à se porter volontaires. Il avance que, les « poules mouillées » une fois évincées, une petite unité d’hommes prêts à mourir, triés sur le volet, répondrait à un appel des hautes autorités de la défense et qu’ainsi l’honneur de l’Allemagne serait sauvé.
Je m’élève contre Richard Dehmel. Comme lui, je présume qu’une petite unité triée sur le volet suivrait une telle exhortation à l’honneur. Elle serait, comme à l’automne 1914, composée essentiellement de jeunes Allemands si tant est qu’il y en ait encore. Il s’ensuivrait très probablement que les candidats au sacrifice seraient effectivement sacrifiés et qu’alors – après les hémorragies quotidiennes des quatre dernières années – l’Allemagne serait exsangue. Ce qui resterait alors dans le pays ne serait plus, selon les propres conclusions de Dehmel, les forces vives de l’Allemagne. Celles-ci mêmes joncheraient les champs de bataille. Une telle perte serait, d’après moi, bien plus grave, bien plus irremplaçable pour l’Allemagne que la perte de provinces entières.
Nous avons profondément revu nos certitudes durant ces quatre années. Y compris, me semble-t-il, notre notion de l’honneur. La Russie ne nous est pas apparue indigne quand elle accepta le traité de paix de Brest-Litovsk, scandaleusement dur. Elle le fit parce qu’elle se sentait tenue par l’obligation d’épargner les forces qui lui restaient pour reconstruire le pays. Tout comme l’Allemagne ne doit pas se sentir déshonorée si elle est obligée de conclure une paix forcée dans le cas d’un échec d’une paix juridique à cause de l’Entente. Fière et digne elle doit rester consciente qu’elle n’y perdra pas son honneur tout comme un individu ne le perd en se pliant à des forces qui lui sont supérieures. L’Allemagne doit mettre tout son honneur à se soumettre à son triste sort et à tirer de la défaite une force intérieure, résolue à se tourner vers l’immense travail qui l’attend.
Que Richard Dehmel se porte volontaire pour le front, je le respecte. Tout comme j’ai respecté qu’il le fasse en 1914. Mais on ne doit pas oublier que Dehmel a ses plus belles années derrière lui. Ce qu’il avait à donner de plus merveilleux, de plus précieux, il l’a déjà donné. Lui, une guerre mondiale ne l’a pas vidé de son sang à 20 ans.
Mais ces milliers innombrables qui, eux aussi, avaient à donner –et bien plus encore que leur seule jeune existence –, peut-on vraiment les tenir pour responsables d’avoir, justement à l’âge où l’on commence à vouloir déployer ses ailes, été jetés dans la guerre et d’être morts en si grand nombre ?
Assez de morts ! Plus un seul ne doit périr au combat ! Contre Richard Dehmel j’invoque un plus grand qui disait : « Les graines de semence ne doivent pas être moulues »« *
( Réponse de Käthe Kollwitz publiée le 30 octobre 1918 dans « Vorwärts » – Journal social-démocrate, créé en 1876 comme organe du SPD. )
* Citation extraite de « Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister » Goethe
« En 1941, la lithographie « Les graines de semence ne doivent pas être moulues » constitue le testament artistique de Käthe Kollwitz (…) L’artiste marque une nouvelle fois son opposition à la guerre. (Käthe Kollwitz Museum Köln). Elle le dira à son fils, Hans :
« J’ai donc encore fait un dessin sur le même thème : Des garçons, de vrais petits Berlinois, tels de jeunes chevaux piaffant d’impatience qui sont retenus une femme. La femme (une vieille femme) les a mis sous son manteau, elle les enveloppe de ses bras, de ses mains avec force et autorité. « Les graines de semence ne doivent pas être moulues » – Ce n’est pas un souhait ardent, mais comme « Plus jamais la guerre », un impératif, une injonction » Journal de Käthe Kollwitz – Décembre 1941

Traduction de Sylvie Pertoci. « Mais il faut pourtant que je travaille » Journal – Articles – Souvenirs de Käthe Kollwitz. Éditions « L’Atelier Contemporain » (2019)
http://editionslateliercontemporain.net/collections/ecrits-d-artistes/article/mais-il-faut-pourtant-que-je-travaille
À consulter : les sites des Musées Käthe Kollwitz en Allemagne, en particulier, la chronologie de la vie de Käthe Kollwitz mise en perspective avec l’histoire contemporaine de l’artiste sur le site du Musée de Cologne.

Käthe Kollwitz Museum Köln https://www.kollwitz.de/

Käthe Kollwitz Museum Berlin https://www.kaethe-kollwitz.de/en/