Grâce à la première grande exposition rétrospective de son œuvre au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, (4 octobre 2019/12 janvier 2020) et la parution ce 10 septembre de la traduction intégrale du journal intime de l’artiste tenu de 1908 à 1943.
À notre connaissance, c’est la première traduction complète de ce journal (une dizaine de cahiers en cuir noir). On le doit au courage et à la volonté de l’éditeur François-Marie Deyrolle, Directeur des éditions « L’Atelier Contemporain », spécialisées, entre autres, dans la publication d’écrits d’artistes. Pour une traduction comme celle-ci, Il aura fallu le talent et l’opiniâtreté de la traductrice Sylvie Pertoci qui n’a ménagé ni son temps ni son énergie pour rendre fidèlement la lettre et l’esprit des écrits de Käthe Kollwitz.
L’édition française du journal de Käthe Kollwitz qui a pour titre « Mais il faut pourtant que je travaille », citation extraite du journal, comprend également la traduction de ses Souvenirs et d’articles, ses hommages à Rodin et à Klinger, qui nous disent beaucoup de son intelligence, de sa curiosité et de sa perception si fine de la réalité.
Le format du livre (21×25 cm) en facilite la lecture. Il comprend plus de 200 illustrations et il est édité en partenariat avec le Goethe-Institut et le Käthe Kollwitz Museum de Cologne qui a, par ailleurs, prêté de nombreuses œuvres pour l’exposition du Musée d’Art Moderne de Strasbourg.
Käthe Kollwitz n’est pas dans un Olympe de la Création, loin des mortels et des « soins qui les dévorent ». Pendant plus de 50 ans, à Berlin Prenzlauer Berg, immergée au cœur de la vie réelle, elle est témoin, à travers le travail de son mari, Karl Kollwitz, « du fardeau et de la tragédie insondables de la vie des prolétaires ».
« … Quand je rencontrais les femmes que mon mari soignait et qui venaient également me voir pour chercher un réconfort, j’étais profondément touchée par le destin du prolétariat dans toutes ses dimensions. Des problèmes insolubles, comme la prostitution et le chômage, me tourmentaient et m’affectaient. Ils ont contribué à mon engagement à témoigner des souffrances des plus pauvres. En ne cessant de dépeindre leurs vies, je me ménageais une soupape qui m’aidait à supporter la vie ». (Käthe Kollwitz, 1941, Souvenirs d’après 1898).
Cette soupape, comme elle l’écrit, elle la trouve d’abord dans la création, souvent difficile, faite de doutes, de renoncements et de fulgurances. Elle ne s’autorise pas à s’ouvrir à son entourage, ne veut pas parler de ses craintes, de ses frayeurs, de ses souffrances, physique et psychologique, en particulier après la mort de son fils Peter : « il y a tant de souffrances plus grandes que la mienne » dira-t-elle. C’est ainsi qu’elle cherchera également un réconfort dans l’écriture, en confiant à ses carnets, avec une grande honnêteté et une grande lucidité tous ses troubles, ses questionnements sur la vie et le monde, ses angoisses et son intérêt pour tous ceux et tout ce qui l’entourent. Elle s’inquiète pour ses proches, ses amis, ses voisins, ses collègues.. Elle sait reconnaître ses erreurs de jugement. Elle n’est pas tendre envers elle-même.
Elle est curieuse et à l’écoute du « bruit et de la fureur » du monde. La fureur qui la rattrapera sous le Nazisme. Nazisme qu’elle combattra jusqu’au bout dans une dernière œuvre graphique, alors qu’elle est très affaiblie par la maladie.
« Une fois de plus, la dernière, j’ai décidé de reprendre le même thème et j’ai dit à Hans (son fils aîné), il y a quelques jours : « Voici mon dernier mot, mon testament : « Ne broyons pas nos graines de semences ! ». Ces derniers jours, je me sentais le cœur incroyablement lourd. Ainsi, une fois de plus, j’ai dessiné le même sujet, des garçons, de vrais petits berlinois qui reniflent avidement l’air du dehors comme de jeunes poulains et qu’une femme essaie de retenir. La femme, une vieille femme protège les enfants contre elle, sous son manteau ; de force, elle les maîtrise en les entourant de ses bras et de ses mains. Ce cri, « Ne broyons pas nos graines de semence » », comme « Plus Jamais de Guerre ! », n’est pas un souhait, mais bien un commandement, une exigence ». (Käthe Kollwitz, lettre à Beate Bonus-Jeep, fin 1941)
À travers son Journal, écrit de 1908 à 1943, ses Souvenirs et sa correspondance, Käthe Kollwitz ne nous parle pas du temps perdu et retrouvé au détour d’une « madeleine » bourgeoise, corsetée et figée.
Avec toute son humanité, sa sensibilité, elle nous parle des femmes et des hommes, de leurs rêves, de leurs joies, de leurs souffrances et de leurs désirs.
Elle nous parle d’amour et de fraternité.
Elle nous parle de nous.
Maryse Magnier
L’Atelier Contemporain
http://editionslateliercontemporain.net/collections/ecrits-d-artistes/article/mais-il-faut-pourtant-que-je-travaille
https://www.goethe.de/ins/fr/fr/ver.cfm?fuseaction=events.detail&event_id=21612303